APP

Dans le vocabulaire de psychosociologie, André Levy en donne la définition suivante : « La notion d’analyse des pratiques désigne une méthode de formation ou de perfectionnement fondée sur l’analyse d’expériences professionnelles, récentes ou en cours, présentées par leurs auteurs dans le cadre d’un groupe composé de personnes exerçant la même profession »[1]. Par ailleurs, pour Dominique Fablet et Claudine Blanchard-Laville, qui ont coordonné de nombreux ouvrages sur le sujet, les dispositifs d’APP: « sont organisées dans un cadre institué de formation professionnelle, initiale ou continue ; concernent notamment les professionnels qui exercent des métiers (formateurs, enseignants, travailleurs sociaux, psychologues, thérapeutes, médecins, responsables de ressources humaines…) ou des fonctions comportant des dimensions relationnelles importantes dans des champs diversifiés (de l’éducation, du social, de l’entreprise…) ; induisent des dispositifs dans lesquels les sujets sont invités à s’impliquer dans l’analyse, c’est-à-dire à travailler à la co-construction du sens de leurs pratiques et/ou à l’amélioration des techniques professionnelles ; conduisent à une élaboration en situation interindividuelle, le plus souvent groupale, s’inscrivant dans une certaine durée et nécessitant la présence d’un animateur, en général professionnel lui-même dans le domaine des pratiques analysées, garant du dispositif en lien avec des références théoriques affirmées »[2].

Pour moi, l’APP se présente sous la forme d’un dispositif groupal de partage, d’échange et d’écoute réciproque sur l’activité professionnelle. Les échanges se déroulent au sein d’un espace réservé à l’élaboration par le biais de la parole entre pairs, dédié et centré sur l’exercice professionnel de ses participant.e.s.

Toutefois, à partir de notre expérience et des demandes, parfois des groupes peuvent être constitués de personnes ayant des pratiques communes qui n’occupent pas les mêmes fonctions. Par exemple, cela peut s’envisager, ponctuellement et sur la demande du groupe, qu’un responsable de service puisse intégrer un groupe d’APP sur une thématique ou sujet particulier.

Si la commande institutionnelle correspond  à une obligation de présence de participant.e.s exerçant différentes fonctions hiérarchiques. Il nous semble primordial que les échanges restent centrés sur la tâche primaire des équipes d’accompagnement. Cela doit être clairement contractualisé avec l’ensemble des acteurs et le commanditaire.

       Par exemple, un conseil départemental après avoir informé les syndicats du personnel a exigé auprès de différents prestataires en APP qu’un cadre hiérarchique soit constamment présent dans les groupes d’APP. Cet exemple atypique sort du cadre habituel de travail d’Expression mais a permis d’avoir accès au travail avec le groupe. Cette exigence a été formulée par le CD suite à une perte de confiance dans le déroulement des interventions en APP antérieures à la mienne. En effet, les espaces d’APP étaient devenus principalement des lieux de revendications, de plaintes. Cela peut créer de la confusion chez les participant.e.s.dans leurs perceptions de l’objectif de travail d’un dispositif d’APP. Dans cet exemple, il y aurait dans cet exemple un écart entre la demande du CD et les besoins réels de l’équipe qui pourrait correspondre à un dispositif de régulation.

Ce type de dispositif est animé par un intervenant, professionnel de l’APP (Analyste des pratiques professionnelles), auprès d’un groupe restreint de 7 à 12 personnes au maximum. L’analyse des pratiques peut aussi être considérée comme un lieu ressource qui vise à développer la capacité des participants à échanger entre collègues, à se questionner, à élaborer autour d’une pratique professionnelle commune autrement dit, à développer une intelligence collective et des situations. C’est donc un espace de travail où chacun peut nourrir son expérience à partir des ressources et de la créativité du groupe. Ce dispositif peut se concevoir comme un laboratoire d’exploration, d’analyse et d’idées pour élaborer sur les questionnements que l’on rencontre dans l’exercice professionnel. En effet, l’APP peut devenir un lieu d’acquisition de connaissances professionnelles : elle laisse la place à l’appropriation de nouvelles connaissances théoriques et techniques proposées par l’intervenant et/ou les membres du groupe.

Il s’agit d’un dispositif centré sur le professionnel en situation, ses attitudes et ses positionnements mais aussi ceux d’une équipe.

L’analyse d’une situation de travail consiste à « déplier » des faits observés, vécus et relatés en termes d’actes et de parole puis à « modaliser », c’est-à-dire éclairer différentes modalités relationnelles et d’actions qui permettent à des professionnels impliqués dans un projet d’accomplir leurs missions.

Analyser c’est donc présenter des éléments utiles à la compréhension d’attitudes professionnelles possibles et à la définition d’actions. L’important étant d’axer la réflexion sur différentes conduites possibles. Le professionnel doit être lui-même en réflexion sur ses actes afin de répondre de manière réfléchie à un cadre de références dans l’accompagnement et de savoir ajuster ses interventions aux situations qu’il rencontre.

En effet, « l’analyse des pratiques porte sur les actes et les gestes que le professionnel peut poser dans le cadre de l’exercice de son métier »[3]. S’il peut y avoir une visée de construction et/ou de remaniement de l’identité professionnelle, particulièrement dans les groupes institués, il est aussi question d’harmonisation, de complémentarités entre les membres d’un groupe voire de transformation des pratiques pour évoluer vers une cohérence du projet global d’une équipe de professionnelles. Cette visée de changement correspond également à ce qui peut être envisagé pour un dispositif de supervision.

Par ailleurs, même si ce dispositif reste prioritairement centré sur un travail réflexif portant sur les pratiques professionnelles des participant.e.s et en aucun cas à partir de problématiques personnelles, il peut arriver que le professionnel soit pris par des états émotionnels et affectifs en lien avec son récit ou celui d’un pair. En effet, les situations travaillées peuvent avoir des effets sur la vie personnelle et inversement, la personne peut vivre des souffrances personnelles qui peuvent impacter la vie professionnelle. Dès lors, il est difficile de distinguer ce qui est strictement lié au professionnel et ce qui est en lien avec la vie personnelle. Si le groupe et l’intervenant.e sont prêts à l’accueillir, le vécu émotionnel peut être exprimé et exposé via le récit du narrateur. Il sera pris en compte dans le cadre de l’analyse des pratiques, même s’il est en lien avec son histoire personnelle ou sa vie privée. L’animateur veillera à conduire avec tact ce type d’exploration, en facilitant l’expression des émotions par le maintien d’un climat de confiance et d’une écoute empathique du groupe. A notre sens, le travail de l’intervenant.e s’arrête alors aux portes de l’intime, afin de ne pas entrer dans un travail thérapeutique. Dans ce cas, il conviendra de revenir de manière systématique à la situation professionnelle exposée initialement pour faire des liens. Ainsi, avec le propos de Mireille Cifali, nous pouvons affirmer que : « tout dispositif d’analyse des pratiques vise à ce que chacun pense par lui-même en lien avec le savoir accumulé jusqu’à aujourd’hui. D’autre part, nous y construisons certes notre intelligence, notre savoir, mais également notre intériorité. Il n’y a pas ici de clivage entre le développement de l’intelligence et le développement du « soi », ce qui fait se rejoindre éthique professionnelle et éthique de vie »[4].De plus, pour Annie-Charlotte Giust-Ollivier dans les groupes d’APP : « Il y a une visée explicite d’évolution personnelle qu’il n’y a pas dans l’étude et la résolution de problème (ERP) »[5]. Enfin, comme le précisent Marc Guiose et Alexandre Sinanian, cette analyse peut s’appuyer « pour le professionnel sur l’expression dans l’espace groupal de ce que la relation au patient/usager lui fait vivre et éprouver »[6].Les ressentis du professionnel sont des indicateurs sur le lien que l’usager entretient avec lui. Il s’agit de permettre à celui ou celle qui expose une situation de tenter de faire la part des choses entre ce qui lui appartient en tant que sujet et ce que met en jeu la personne accompagnée dans la relation avec lui.Dit plus simplement, l’APP permet de penser sa pratique au sens de ce que la relation d’aide et d’accompagnement fait vivre au professionnel.

Quelles sont les conceptions de l’APP communiquées auprès de notre clientèle ?

Le groupe comme cadre de référence

L’analyse de la pratique est un cadre permettant aux différents membres des équipes de prendre du recul sur leurs activités, redéfinir entre eux leurs pratiques et être ainsi à même de retrouver du sens dans leur travail qu’ils peuvent avoir perdu pour l’aborder plus sereinement.

L’élaboration à partir des situations professionnelles difficiles ou complexes, présentées par les participant.e.s, rend possible une réflexion autour du positionnement et de l’identité professionnelle. De ce point de vue, le groupe constitue un réel support et une ressource importante.

L’approche que nous proposons permet d’articuler ce qui se passe pour l’individu et le groupe. En outre, un groupe d’APP favorise l’expression et la circulation des émotions, des idées et des pensées. Cela permet un travail d’analyse et de compréhension de ces ressentis et des réactions qu’elles suscitent.

L’APP est un espace ressource qui favorise également le développement des capacités d’écoute et de construction d’un travail collectif puisque chacun.e est amené.e à s’engager, à échanger, à se questionner, à comprendre l’autre différent.

L’APP est un dispositif collaboratif et groupal qui permet aux professionnel.le.s de prendre du recul sur les actes et les gestes qu’ils/elles posent dans l’exercice de leur métier. L’analyse, à partir de situations concrètes vécues par les participant.e.s, permet un repérage des logiques et des critères, implicites ou non, qui sont au fondement des réponses apportées. Ce dispositif propose de se centrer sur ce que le professionnel fait, comment il le fait et pourquoi il le fait ainsi. Cela amène à s’interroger sur les conséquences de ces actes et les pistes d’évolution possibles donc, ce que le professionnel pourrait faire et dans quelles limites mais aussi cela amène chacun.e à théoriser à partir de ces questions.

Il s’agit en fait non seulement de faciliter les échanges entre professionnel.le.s mais aussi d’éclairer, de mieux comprendre, de réfléchir à partir d’activités professionnelles vécues. Le partage de ces questionnements peut permettre progressivement de cheminer ensemble vers des repères communs qui font sens et sur lesquels chacun.e pourra s’appuyer dans sa pratique. Autrement dit, ce dispositif groupal permet à chacun.e de se mettre au diapason des missions qui lui sont confiées et par voie de conséquence, de remplir celles qui sont de l’ordre de l’institution. Ainsi, les professionnel.le.s pourront élaborer sur les enjeux de l’exercice de leurs missions, ils contribueront à améliorer la cohérence dans leurs interventions et partager un socle de valeurs et de pratiques communes.

Dans les groupes d’APP, nous sollicitons l’ensemble des participant.e.s pour qu’ils prennent conscience du type d’interactions qu’ils mettent en place pour travailler ensemble. Ainsi, nous pensons que l’APP est un moyen d’apprendre à travailler en équipe en reconnaissant l’importance des différences, des divergences pour enrichir le travail. Ce qui distingue une intelligence collective d’un travail collectif c’est le dépassement dû à la relation entre les membres du collectif. C’est parce que l’intervenant.e va favoriser l’émergence d’une dynamique de groupe en laissant de la place pour l’expression des ressentis, des ambivalences, du doute, de la stimulation, de la confrontation que chacun.e va pouvoir progresser. Nous partons du principe qu’au bout de quelques séances cette dynamique de groupe permettra de développer des compétences collectives qui sont davantage que la somme des compétences individuelles.

Pour ce faire, l’intervenant.e propose un cadre précis : tour à tour chaque professionnel.le évoque une situation vécue qui fera l’objet d’une analyse, d’une théorisation mais aussi d’une proposition de pistes concrètes pour transformer sa pratique. En fin de séance, nous amenons le groupe à prendre conscience du fonctionnement, à préciser les attitudes mises en œuvre pour échanger et ainsi faire le point sur les manières judicieuses ou les manières créatrices de réguler ou apaiser des tensions relationnelles, des sous-entendus ou des jugements de valeur. Une dizaine de minutes est également consacrée à une prise de conscience individuelle des apports de la séance par rapport aux compétences à développer.

La visée de l’APP est de permettre aux professionnel.le.s de faire évoluer leur rapport aux problèmes, aux questions, au vécu, aux difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice d’un travail qui s’inscrit dans une organisation. Les participant.e.s sont donc au cœur de ce dispositif et nous travaillons à partir des différences qui vont émerger au sein du groupe pour « faire équipe ».

Ainsi l’APP ne se centre pas sur le fonctionnement institutionnel et nous tenons à préciser que l’espace d’APP ne peut pas être utilisé pour prendre des décisions et ne se substitue pas aux fonctions d’encadrement hiérarchiques.

Objectifs récurrents des sessions d’analyse des pratiques

Pour les accompagnants :

Proposer un espace d’accueil et de mise en mots du vécu professionnel en lien à la relation éducative et à ses difficultés.

  • Favoriser l’expression et l’accueil des différences de points de vue dans la mise en œuvre des actions éducatives.
  • Écouter et accueillir les impacts émotionnels tout en accompagnant la mise en état ressource.
  • Mettre à jour les dynamiques et les enjeux sous-jacents aux problématiques présentes dans la relation d’accompagnement.
  • Permettre une prise de recul et de réflexion quant à ses propres modes de fonctionnement et à ses interventions éducatives.
  • Proposer de nouveaux outils d’analyse et différents modèles de compréhension des symptômes offrant ainsi une plus grande adaptation des réponses.
  • Permettre l’émergence d’hypothèses.
  • Favoriser la créativité et la production d’options nouvelles.
  • Contribuer à la reconnaissance des motivations individuelles et à leur mise en relation avec les rôles professionnels.
  • Aider à l’identification de ses représentations, croyances et résonances personnelles ainsi qu’a leurs incidences dans sa pratique éducative.
  • Mettre à jour les symétries et asymétries des relations et favoriser d’autres options que le rapport de force.
  • Permettre aux accompagnants de trouver, compte tenu de leur mission, de leurs compétences et de leurs aptitudes meilleure place auprès de l’usager et de décliner celle-ci en terme d’interventions et d’actions.
  • Veiller à différencier : la fonction et la personne, l’identité et le comportement, l’être et le faire, l’intention et l’action…
  • Apprendre à poser les frontières dans le respect de soi, des autres et ce, dans le cadre de sa mission.
  • Contribuer au développement des compétences relationnelles des personnels (communication, écoute, gestion des relations).
  • Repérer son cadre d’action, ses champs d’intervention et les différentes articulations au sein de l’équipe.
  • Favoriser l’intégration d’une vision systémique des situations.

Pour l’équipe :

  • Mettre à jour les pratiques professionnelles nécessitant une relecture collective.
  • Mutualiser et développer les savoirs, savoir-faire et savoir-être de l’équipe.
  • Développer la coopération et renforcer la cohérence des pratiques au sein de l’équipe.
  • Apprendre et développer des stratégies collectives de réflexion et de créativité en matière d’interventions.
  • S’accorder sur un sens commun aux interventions.

Déontologie – Règles et limites en analyse des pratiques

Dès lors et afin de garantir le bon fonctionnement du groupe l’élaboration et le respect d’un cadre déontologique fixant les valeurs collectives, les règles de fonctionnement et les engagements de chacun est nécessaire. Si le groupe d’analyse des pratiques est avant tout un lieu de réflexion il peut arriver que des décisions explicites (ou implicites) y soient prises. Là aussi une clarification préalable permettra de fixer les limites utiles. Les limites et le règles de déroulement et d’animation des sessions doivent donc être fixées préalablement et connues de tous . Elles Intégreront, outre celles convenues avec les intéressés (Commanditaire, participants..), les éléments d’une Charte déontologiquePour en savoir Plus : Méthodologie et Modalités d’intervention.


[1] Barus-Michel Jacqueline, Enriquez Eugène, Lévy André (dir.) (2013), Vocabulaire de psychosociologie. Toulouse : Erès,11Eme édition, p. 302.

[2] Blanchard-Laville Claudine et Fablet Dominique (coord.) (1996), L’analyse des pratiques professionnelles, Paris : L’harmattan (savoir et formation), p. 262-263.

[3] Béaur Alain et Vila Sylvie (2004), « Pour ne plus confondre supervision, analyse des pratiques et régulation d’équipe… », Lien social, 704, p. 14.

[4] Cifali Mireille (2018), S’engager pour accompagner, valeurs des métiers de la formation. Paris : PUF, p.206.

[5] Guist-Ollivier Annie-Charlotte et Oualid Florence (dir.) (2011), Les groupes d’analyse des pratiques. Nouvelle revue de psychosociologie, 11, Toulouse : Erès.

[6] Guiose Marc, Fradet-Vallée Yolande, Robin-Poupard Florence et Sinanian Alexandre (2018), Groupes d’analyse des pratiques en institutions, clinique et théorie. Paris : Heures de France, p. 47.